Trouvé dans Esquive, n. 3/4, juin 2014
Soixante ans déjà que nous l’attendions, cette cage dorée, ce petit bijou carcéral. Quelles surprises nous réserve-t-il ? Voici le premier épi- sode de la série « Curabilis », une plongée schématique dans le nou- vel établissement pénitencier psychiatrique genevois, encore fermé aujourd’hui ( l’ouverture était prévue pour fin avril 2014… ) ; une prison qui s’inscrit dans un mouvement d’inflation sécuritaire généralisée en
Europe et de création de nouvelles formes toujours plus nombreuses
de ghettos carcéraux.
Curabilis emprisonnera trois « types » de détenus, répartis en autant d’unités.
- Les unités de mesures enfermeront des détenus dont la peine s’éternise sous le coup des articles 59, 60 et 64 du code pénal qui mettent en relation leur délit avec des addictions ou des troubles psy- chiques.
- L’unité de psychiatrie pénitentiaire remplacera celle de Belle-Idée pour traiter, sous ordre d’un médecin, les troubles mentaux des détenus au cours de leur incarcération.
- L’unité de sociothérapie (le fantôme de la défunte Pâquerette) se chargera des détenus qui présenteraient une in- aptitude à vivre en respectant les lois ainsi qu’un comportement jugé anor- mal. On leur enseignera la socialisation et l’insertion à coups de « soins psychia- triques ou somatiques ».
Lier le délit au trouble mental ( le “ cara- ctère symptomatique ” du délit ) ou à la personnalité d’un détenu, c’est donner un sens médical à l’hypothétique risque de récidive : tant que le détenu n’est pas « guéri », il reste un potentiel danger pour la société. À Curabilis, les mé- decins pourront diagnostiquer des « risques de récidive » pour enfer- mer des gens sans date de sortie.
Curabilis illustre l’évolution conjointe actuelle de la justice et de la médecine à des fins de contrôle social . Le rôle et l’importance du médecin dans le pro- cessus et les décisions judiciaires pèsent de plus en plus lourd. La justice ne juge plus seulement des actes punissable mais des personnalités, elle alourdit les peines, et la médecine devient son outil ; elle assure sa mission de surveillance, de sécurité et de normalisation sociale en diagnostiquant des formes de trou- bles toujours plus nombreuses et spéci- fiques. Prétendre soigner des personnes en milieu carcéral constitue l’hypocrisie de cette médecine inquisitrice. Cura- bilis est la nouvelle fabrique à détenus fous. Comment va-t-elle « soigner pour empêcher la récidive » ? Comment les psychothérapeutes, les psychiatres, les physiothérapeutes et autres futurs pro- tagonistes des guérisons mentales et sociales des détenus de Curabilis vont- ils transformer « le vilain métier de punir en gentil métier de soigner » ?
Suite dans le prochain épisode…